Niveau : pour débutant
Cette série d’articles tente de donner un aperçu succinct de la notion d’art en occident. Depuis sa création jusqu’à aujourd’hui. Dans le but de donner des clefs de lecture sur l’art en général et de comprendre où nous en sommes aujourd’hui.
La rencontre des autres civilisations : l’exotisme et le pittoresque.
Les 15e et 16e siècles sont des périodes de grandes découvertes et conquêtes occidentales. C’est un temps d’échange fort. Nous avons vue précédemment que l’histoire des civilisations n’est qu’une suite d’influences, pas d’art pur ou de civilisations pures.
En effet, au XVII siècle les chinoiseries se développent en Europe quand la porcelaine Chinoise reprend les modèles occidentaux. Dès 1860 (ère Meiji), l’ouverture et les échanges s’effectuent avec une volonté de modernité inspirée de l’Europe. Les japonais à leur tour, réalisent des gravures de style occidental et en parallèle, il parvient en Europe des estampes Japonaise.
Hiroshige, Les tourbillons de Naruto au large de l’île d’Awaji (1855).
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Dans cette interpénétration des cultures, les artistes d’avant garde (Manet, Degas, Van Gogh), les maîtres verriers, les fabricants de meubles et les illustrateurs s’en inspirent. Cette vague correspond à une prédominance de la ligne, une utilisation de couleurs franches avec un retour à une perspective frontale : c’est l’Art Nouveau. Néanmoins, elle est synonyme d’un exotisme rêvé de pacotille propre aux fantasmes. Elle ne sert qu’a renouveler l’inspiration des artistes. L’autre (la culture étrangère) est instrumentalisée comme artifice, d’autant plus que l’époque coloniale n’arrange rien. Cependant seuls quelques personnages sont de véritables passeurs.
Degas et Utamaro Kitagawa
Hiroshige, « Voyageurs surpris par la pluie », 1833-34
James Tissot, Jeunes demoiselle regardant des objets japonais » 1869
L’exemple emblématique est celui du parcours de Gauguin. Il séjourne à Tahiti entre 1891 et 1893. Son travail bouleverse les formes et la question de la représentation. Lors de son séjour à Pont-Aven en Bretagne, il s’exprime déjà sur le caractère sauvage de cette civilisation bretonne, appréciant l’aspect “frustre” des expressions plastiques de ce monde “primitif”. Il bouleverse également les valeurs de l’art occidental en défendant l’art des Indiens d’Amérique. Il réalise des pièces uniques, pensées comme des sculptures et des totems magiques. Il inverse les valeurs en se servant des vecteurs de l’art occidental pour y faire passer des représentations issues de “barbares” et “sauvages”. Il anoblit ces dernières sans les édulcorer. Et pose déjà la question de la pièce unique et du multiple lié à l’artisanat.
Paul Gauguin, « Idole à la coquille », entre 1892 et 1893, statuette en bois de fer, nacre, dent et en os, H. 34,4 ; L. 14,8 ; P. 18,5 cm. Paul Gauguin, « Oviri », 1894, grès, H. 75 ; L. 19 ; P. 27 cm
Paul Gauguin, Nave Nave Moe, 1894, huile sur toile, Hermitage Museum, St. Petersburg, Russie
Sa démarche accompagne aussi les éléments les plus utopiques de “l’Art Nouveau” ou “Modern Style”, c’est à dire à partir des Arts and Crafts en Angleterre (Wiliam Morris), dont la volonté est de ne plus séparer l’art et la vie et d’en revenir à un beau global (comme à la renaissance) pour tous, grâce à l’industrialisation (comme le Bauhaus en 1950).
L’art nouveau va également mythifier la femme et s’inspirer des courbes de la nature. Tous les domaines sont touchés : architecture, transport (métro parisien d’Hector Guimard), affiches (Mucha), vaisselle, illustrations (Aubrey Beardsley) et papiers peints.
Alfonse Mucha, « Les quatre saisons », 1895
Aubrey Beardsley, « La jupe-paon », illustration pour Salomé de Oscar Wilde (1892)
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Toulouse Lautrec, Affiche « Divan Japonais », 1893
Tout comme Gauguin, Anton Gaudi à Barcelone, cherche à utiliser des formes populaires (la céramique) pour transformer l’univers de vie.
Anton Gaudi « Casa Mila », construite entre 1906 et 1910
Hervé Guimard, métro parisien, 1900
C’est aussi l’époque des orientalistes dont on peut observer différentes attitudes. Certains se servent de l’ailleurs comme prétexte à fantasme (Jean Leon Gérôme et ses harems). D’autres y voient des lumières, des couleurs et une géométrie, qui modifient leurs créations, (Delacroix, Matisse, Paul Klee). D’autres s’installent ailleurs et parfois adoptent les coutumes et religions locales.
Jean-Léon Gérôme, « La Grande Piscine de Brousse », huile sur toile, 1885
Eugène Delacroix, « La mort de Sardanapale » 1827
Paul Klee, « Vue de Kairouan », 1914
Henri Matisse, »Figure décorative sur Fond ornemental », Huile sur toile, 130 x 98 cm, 1925-1926. Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris
A travers Gauguin, une rupture radicale s’opère parce qu’elle introduit des objets “sauvages” dans l’art occidental. Ce ne sont plus des curiosités mais des oeuvres. Il décloisonne les expressions dites “naïves” (le Douanier Rousseau) ou populaire (l’artisanat ou art dit “brut” : art des fous, art des enfants). Ces formes d’art vont être reprise par les artistes d’avant-garde (expressionnistes, cubistes, dadaïstes et surréalistes). L’histoire de l’art s’ouvrira au 20e siècle aux expressions plastiques des autres civilisations. Cela va bien mettre un siècle pour toucher un large publique. Mais la rupture est là.
Henri Rousseau, « La charmeuse de serpents », 1907
Dans le prochain article vous verrez pourquoi l’art va changer les codes de la représentation et les rendre à la limite de l’identifiable.
Pour lire la série d’articles consacrés à L’invention de l’art en Europe :
L’invention de l’art en Europe 1/8.
15e : L’art s’invente à la renaissance. L’oeuvre d’art n’a pas de fonction, elle n’est là que pour la délectation esthétique.
L’invention de l’art en Europe 2/8.
16e – 17e siècle : L’art au service des rois et de la propagande religieuse. L’art décrit le quotidien.
L’invention de l’art en Europe 3/8.
19e siècle : Au début de l’industrialisation, l’art rompt avec les sujets officiels et fait place à la nostalgie du passé et de la nature
L’invention de l’art en Europe 4/8
Fin du 19e siècle : Cadrer l’insignifiant quotidien et transposer la lumière en matière picturale
Article inspirée de « Image, une histoire mondiale » de Laurent Gervereau, dont je recommande la lecture.